Le ghetto. C'est comme ça qu'on appelait cet immense complexe urbain de béton armé, constitué de tours d'habitation pas spécialement esthétiques ni hautes. C'était pas un sympathique endroit, mais si t'avais pas de maille tu t'en contentais. Autant dire que la plupart des minorités si retrouvaient au bout d'un certain temps, lorsque la ségrégation anonyme frappait. On n'y venait pas par choix mais par nécessité et on en repart vite dès qu'on peut, du moins c'était ce que me soutenais Henri il y a trois ans, quand il emménageais là bas.
Henri, c'est mon ami taulard. Mais pas celui qui t'entraînes dans les magouilles, non non. Henri, c'est celui qui a retrouvé sa place après la prison. Celui qui a été tellement formaté qu'il n'est même plus libre de penser autrement qu'avec la loi. Henri, c'est le nouveau citoyen du monde moderne.
Il avait fait deux trois conneries dans sa jeunesse, mais après la maison de correction, il ne s'était pas arrêté à la petite contrebande de cigarettes au lycée et avait enchaîné avec la revente de farine à l'aide d'un cousin germain un peu douteux qui lui promettait de l'argent facile en peu de temps. L'argent, il l'a eu, puis l'a perdu immédiatement après le procès.
La prison, enfin plutôt le camp de rétention expérimental où on l'avait envoyé, l'avait réellement changé. Il avait désormais une sorte de morale catholique et ne songeait pas à autre chose sauf à aimer son prochain ; c'est sûrement comme ça qu'il n'avait pas oublié notre amitié avec tout ça.
Mais peut importe. Je lui rendais visite. C'était mon objectif. Pour cela, j'empruntais...